Méthode de travail


Création artistique et travail social

Ce sont deux méthodes d'appréhension du monde et de la société antagonistes. Le travailleur social aide les gens à obtenir ce dont ils ont besoin et envie. L'artiste au contraire crée des objets que nul autre que lui n'aurait pu concevoir dans le but de surprendre et d'ouvrir de nouvelles perspectives. Proposer des interventions artistiques à visée sociale est donc un défi. Ce travail, selon nous, ne doit pas nier l'antagonisme de départ mais se nourrir de cette tension.

 

Un défi

Le choix pour des artistes de travailler au cœur de la société auprès de personnes qui ne sont même pas des "amateurs" car ils n'ont pas de pratiques artistiques régulières, peut paraître "volontariste". Il n'en est rien. Il est né de l'expérience de terrain. La plupart des ces non-amateurs nous confient des envies, des rêves, des souvenirs... "J'ai dessiné enfant mais j'ai arrêté depuis longtemps", "oh le théâtre, j'ai vu des copains une fois"..."Ne me dessinez pas, je ne suis pas belle." Très vite, on sent qu'il suffit d'une étincelle pour oser s'y mettre ou s'y remettre. L'enjeu est souvent de taille. Il est de différente nature selon les gens : s'exprimer dans son lieu de vie et devant les gens avec lesquels on vit, reconquérir l'estime de soi, sortir de l'isolement, retrouver le plaisir des mots, faire connaissance avec ses voisins, développer son imaginaire, se distraire, rêver à d'autres possibles... La liste ne peut être exhaustive. Nous laissons à chacun ses secrets.

 

L'écriture d'un récit commun

Plus que jamais, il nous paraît urgent de nourrir ces envies. Nos sociétés connectées et interdépendantes laissent beaucoup de citoyens désemparés et de communautés désunies. En reliant les histoires anciennes à celles d'aujourd'hui, en transformant des lieux de passage en lieu de partage, en investissant le réel de nos imaginaires, nous suscitons l'élaboration d'un récit fragmentaire, tiraillé, inachevé mais commun. Autour de lui, les points de vue peuvent s'exprimer, les sensibilités peuvent se rejoindre et les solidarités, se tisser.

 

Les mains vides, les mains pleines

Nous n'arrivons jamais avec un projet tout fait, ni avec aucune envie dans la tête. Quand nous nous engageons dans un territoire et auprès de ses habitants ou usagers, c'est que personnes et lieux nous inspirent. Notre travail consiste à mettre  en route les conditions d'un cheminement commun puis nous suivons les idées de chacun. Chaque projet est donc à la fois le fruit de notre proposition et absolument différent de tout ce qui nous aurions pu prévoir.

 

L'écoute

Notre travail commence donc toujours par une écoute du territoire, des acteurs, des passants. Nous faisons connaissance avec les institutions, les acteurs de terrain et les groupes constitués de manière organisée. Parallèlement, nous partons à la rencontre des habitants au hasard et avec un regard neuf. Toute personne compte à nos yeux, un enfant de quatre ans autant qu'un adulte, une personne handicapée autant qu'une personne valide. S'ils sont intéressés, nous les aiderons à trouver une place "sur mesure" dans le projet commun.

 

La concertation

Ainsi, la concertation est présente tout au long du projet. Avec les partenaires, nous organisons des rendez-vous réguliers. Pour recueillir l'avis des gens qui ne viennent pas aux réunions, nous allons à leur rencontre dans les espaces de vie du quotidien.

 

La diversité des échelles de temps permet une diversité de participants

Notre action globale est aussi déclinée en plusieurs projets plus petits comme des poupées russes. Cette méthode permet aux habitants de participer un quart d'heure ou plusieurs heures par mois pendant six mois selon leurs envies et leurs possibilités. Elle permet aussi à la fois d'adapter notre travail à chaque contexte (rue, collège, centre de loisirs...) tout en déroulant un fil directeur fédérateur et porteur de sens.

 

La pluridisciplinarité

L'utilisation de plusieurs disciplines artistiques autour d'un récit commun permet à des gens aux sensibilités différentes de collaborer. Ce ne sont pas les mêmes personnes qui joueront des textes ou prendront des photos ou offriront leur visage à un dessinateur...

 

L'art et la société

Pour que l'art fasse intégralement partie de la vie quotidienne, il faut qu'il se frotte à d'autres champs et compétences. Nous collaborons avec les acteurs de terrain en croisant nos pratiques avec les leurs, qu'ils soient travailleurs sociaux, enseignants, paysagistes, bailleurs HLM, élus, référents de quartier prioritaire, gardiens d'immeuble, adultes-relais, animateurs, bibliothécaires...

 

La mobilité et la mise en réseau

Nous avons mis en oeuvre une méthode de travail fondée sur la mobilité. Bien loin de nous implanter comme une structure locale, pour chaque volet de notre action, nous tentons de nouer des partenariats avec les acteurs de terrain. Nous cherchons avec eux comment nos pratiques peuvent les aider à remplir leurs missions.

 

La force de la récurrence avec ou sans événementiel

Nous n'organisons pas notre action autour d'un temps fort car nous ne voulons pas résumer la participation des habitants à ce moment précis. Nous tâchons de réinventer le quotidien, et nous développons un travail sur le long terme. Nous pensons que le public auprès duquel nous intervenons n'a pas besoin d'un temps fort supplémentaire, les structures présentes sur le territoire remplissent déjà cette fonction. Nous préférons impliquer petit à petit le public, mais dans le long terme, plutôt que de le mobiliser une heure, mais une fois par an.

 

Le sentiment de pouvoir agir

Cette façon de fonctionner amène progressivement les personnes à s'impliquer profondément dans une action collective. En effet, c'est en voyant du théâtre, de la photographie, du dessin de façon récurrente que la personne va s'autoriser à participer, à développer le sentiment qu'elle peut, elle aussi, agir et créer.

 

Jouer les « touristes » dans son environnement quotidien

Nos propositions permettent de réinterroger le partage des espaces publics ou semi-publics (halls, balcons) et leur conception. Elles offrent la possibilité d'un regard nouveau sur des choses trop vues. Par le décalage, l'imprévu, l'apport de matériaux poétiques, le détournement, elles tentent de rendre aux habitants "la fraîcheur du jour" dans les lieux de la vie quotidienne.

 

Réinvestir les lieux...

Nous partons à la recherche de la dimension patrimoniale des lieux pour les réinscrire dans l'Histoire. Parallèlement, nous glanons les expériences quotidiennes des habitants d'aujourd'hui. Ces découvertes et ces rencontres nous ont conduit à transformer des halls d'immeuble en jardin, en salle de cinéma ou en galerie d'art, des espaces verts en terrain d'aventures, des ponts en bateaux,... Ces transformations sont faites par les usagers du territoire avec notre aide. Elles sont le résultat d'un partenariat avec différentes structures locales et d'un échange régulier avec les personnes fréquentant les lieux.

 

...pour susciter la rencontre...

La transformation des lieux et de leurs usages mène à l'arrêt dans le trajet habituel, à la discussion, à la rencontre et enfin à la coopération. Des personnes d' âges et d'intérêt différents trouvent un espace commun pour partager un moment et une pratique. Certains portent le projet, d'autres approuvent et donnent un coup de main ponctuel, certains descendent un gâteau, des bonbons ou débarquent avec un tonitruant : "Qu'est-ce que c'est que ça ? !" Commence alors une discussion...

 

...pour s'exprimer sur ce qui ne va pas...

La présence de gens inconnus et l'usage original d'espaces réduits d'habitude à leur pure fonctionnalité suscitent aussi de la méfiance et provoquent parfois le déferlement d'une colère rentrée jusqu'ici. Parfois, nous sommes les réceptacles d'un débordement contre tout et n'importe quoi. La discussion s'anime. Chacun prend position. Les problèmes enfouis surgissent dans un espace partagé où le débat est ouvert. Un grand souffle d'air frais pénètre parfois le hall, parfois chacun reste campé sur ses positions...

 

 ...et imaginer des solutions possibles ou utopiques

...ou s'offre le luxe de bouger. C'est un de nos moments préférés. Nous le nommons « la porte ouverte à toutes les fenêtres ». La liberté, le bouleversement des habitudes font parfois peur. Alors, le projet change lui aussi, réduit sa vitesse, réduit la voilure, pour mieux se déployer, autrement et parfois ailleurs, quelques mètres plus loin où l'envie est plus forte que l'angoisse. Les choses impossibles ne sont plus possibles, elles sont sous nos yeux, nous l'avons fait ensemble. A partir d'elles, il est possible d'espérer aller plus loin.

 

 

Et après...

Quand nous partons, il reste des souvenirs de ce qui a eu lieu et des pistes lancées à suivre. Nous laissons des traces, des matériaux, des idées, des méthodes, des supports, des connexions, dans l'espoir qu'ils seront pillés, copiés, transformés, réinvestis, trahis, contredits, réinventés. De notre côté, nous emportons ce que le lieu et les gens nous ont donné pour nourrir une autre aventure.

La Rabière - Joué-lès-Tours -  juin 2015 - photo S.Jollec

Illustration : Méryl Septier /  Webmestre : Stéphanie Jollec